Source : SYME 10 janvier 2020

Le recours à la médiation se développe au sein des entreprises et plus généralement des organisations et prend progressivement sa place comme l’un des moyens permettant de prévenir les risques psychosociaux. Les entreprises font souvent appel à la médiation au cas par cas lorsqu’elles sont confrontées à des conflits ou tensions interindividuels ou collectifs. Certaines prévoient également le recours à la médiation dans des dispositifs internes propres ou par la voie d’accords d’entreprises sur les risques psychosociaux ou la prévention du harcèlement et de la violence au travail.

Les situations de conflit rencontrées sont souvent complexes. Dans les entreprises qui le prévoient, la cellule « RPS » qui traite de ces questions se réunit pour envisager les différentes solutions possibles : faut-il une mesure d’éloignement de telle ou telle personne ? un changement de poste ? la solution relève-t-elle du domaine disciplinaire ? peut-on proposer une médiation ou doit-on initier préalablement une enquête afin de déterminer la présence ou non de harcèlement moral ?

Il n’est pas simple de discerner la place et le moment de la médiation alors qu’au-delà du conflit interpersonnel apparent, de nombreuses questions peuvent être en jeu : la compétence professionnelle, la justesse d’un recrutement, le comportement répréhensible ou non de tel ou tel, le besoin de formation, les difficultés liées à l’organisation du travail…

Parmi ces questions, il y a également celle de la santé des personnes qui est à la fois très présente dans les situations vécues et, me semble-t-il, parfois un peu occulté par les entreprises. La médiation est de fait de plus en plus proposée dans des situations dans lesquelles la santé psychique des personnes est dégradée pour des motifs liés au travail, ce qui se traduit par de longs arrêts de travail liés à des dépressions, burn out…

Se posent alors différentes questions au médiateur :

Quelles précautions prendre pour proposer une médiation ?

Il y a tout d’abord des situations particulièrement graves et dégradées dans lesquels la médiation n’est pas ou n’est plus la réponse appropriée : c’est le cas du harcèlement moral avéré exercé à l’encontre d’une personne dont la santé physique ou mentale est altérée. C’est le cas également de collectifs en grande souffrance en raison d’une organisation du travail ou d’un mode de management pathogène que la direction ne souhaite pas voir évoluer.

Dans d’autres situations traitées plus en amont, dans lesquelles les difficultés semblent davantage appartenir au domaine de la communication et de la relation, ou encore dans lesquelles la direction accepte d’entendre la parole d’un collectif sur l’organisation du travail, la médiation peut en revanche être une réponse.

On peut citer l’exemple de deux salariés à qui l’on propose une médiation à la suite d’une enquête interne ou externe qui a conclu à l’absence de harcèlement moral et identifié une simple mésentente. L’enquête peut se révéler éprouvante tant pour le salarié s’estimant victime, qui ne se sent pas reconnu dans sa souffrance, que pour celui qui est accusé, avec le sentiment d’avoir été désigné coupable vis-à-vis de ses collègues malgré les conclusions de l’enquête.

Il arrive ainsi fréquemment que les personnes très meurtries aient connu l’une et/ou l’autre des périodes d’arrêts maladie. Le point de vigilance est ici de s’assurer que les conditions de la mise en place d’une médiation sont réunies compte-tenu de l’état de santé de l’un ou l’autre des participants.

La médiation est d’abord et avant tout une proposition que les personnes sont libres d’accepter ou de refuser. Elle est donc fondée sur le volontariat avec cette idée que ce sont les personnes elles-mêmes qui sont les mieux placées pour décider si elle est adaptée à leur situation. L’obligation du médiateur est de veiller à ce que le consentement des personnes pour venir en médiation soit « libre et éclairé ». Le Code National de Déontologie du Médiateur précise encore que le médiateur « refusera toute mission où le consentement risque d’être altéré».

Le médiateur devra veiller essentiellement en amont dans son cadre d’intervention à ce que les personnes aient réellement la liberté de refuser la rencontre en médiation qui leur est proposée et, s’ils l’acceptent, d’avancer à leur rythme et d’arrêter le processus quand ils le souhaitent. Il pourra prendre par exemple le temps de rencontrer dans un premier temps individuellement à plusieurs reprises les personnes pour leur permettre de cheminer et prendre du recul vis-à-vis de la situation avant d’accepter ou non la rencontre en médiation.

Le Code National de Déontologie du Médiateur prévoit également que le médiateur « informe les personnes que, tout au long du processus de médiation, elles ont la possibilité de prendre conseil auprès des professionnels qu’elles souhaitent. S’il a un doute…il invite expressément les personnes à prendre conseil auprès du professionnel compétent avant tout engagement » ; étant précisé que la convention d’entrée en médiation doit par ailleurs mentionner que cette information a bien été donnée.

Cette préconisation vise tous professionnels y compris me semble-t-il les professionnels de santé : médecin traitant, médecin du travail, psychologue…Il me semble en tout état de cause important que le médiateur ne se substitue pas à ces professionnels de santé dont les personnes à qui l’on propose une médiation doivent pouvoir s’entourer.

Dans ma pratique, je demande également, dans ce type de situations, à ce que l’entreprise informe préalablement le médecin du travail qu’une médiation est proposée en en précisant le périmètre. Lorsque ces conditions sont réunies, la médiation peut se mettre en place et permettre aux personnes de modifier leurs représentations et dépasser les malentendus et incompréhensions.

La mise en place de la médiation alors que certaines personnes sont en arrêt maladie

Il arrive parfois que les entreprises envisagent une médiation alors que certains des salariés appartenant a priori à son périmètre sont encore en arrêt maladie ou viennent tout juste de réintégrer l’entreprise. Peut-on prendre contact avec des salariés en arrêt maladie dans le cadre d’une démarche de médiation ?

Il n’existe pas à ma connaissance de réponse claire sur ce point tant d’un point de vue légal que déontologique et les pratiques des médiateurs diffèrent. Dans ma pratique, j’ai tendance à être de plus en plus prudente et à ne prendre contact avec des salariés dans cette situation que s’ils sont eux-mêmes en demande de médiation ou d’un échange avec le médiateur.

Par ailleurs la participation à une médiation en entreprise nécessite selon moi que la personne soit préalablement reconnue apte au travail. Il m’est arrivé de découvrir qu’un salarié ayant été absent plus d’un mois avait été réintégré dans l’entreprise sans visite médicale de reprise et donc sans avoir été déclaré apte au travail, ce qui est pourtant une obligation pour l’entreprise. La responsabilité incombe à l’employeur mais il me parait également prudent pour le médiateur de vérifier ces points avant le lancement d’une médiation.

En conclusion, la médiation a toute sa place dans la prévention des risques psychosociaux et permet de dénouer de nombreuses situations de tensions ou conflits. Il y a toutefois pour le médiateur un important travail de discernement à faire en amont et la médiation ne doit pas prendre la place des autres acteurs de la prévention, notamment dans le champ médical.